Grass is greener est documentaire de et avec la légende du HipHop Fab 5 Freddy et traite de l’histoire moderne de la marijuana aux USA. Étant dans la culture HipHop depuis très jeune, il n’est pas possible pour moi, qui ne suis pas consommateur, de ne pas avoir une approche politique de la marijuana. C’est justement ce qui m’a intéressé et interpellé dans ce documentaire alors que je n’avais eu aucune info au préalable ni vu un quelconque teaser. Voilà donc mon commentaire sur ce documentaire que je recommande vivement si vous vous intéressez à la dimension politique et raciale de la drogue.
Depuis 1936, après des études commandées, les politiques et scientifiques américains savaient que la marijuana ne comportait aucun danger, n’entraînait à aucune addiction ni aucun trouble psychologique en soi et au contraire avait une certaine utilité médicale. Mais ils ont préféré ignorer cela. Pour la simple bonne raison que les consommateurs de la marijuana étaient principalement des noirs (et des mexicains). Ils ont fait le choix de la propagande et du racisme et donc de la criminaliser parce qu’au fond, l’objectif était de criminaliser les noirs, comme toujours. Il s’agissait d’empêcher les gens d’aller dans les clubs de jazz, de faire en sorte que les blancs ne se mélangent pas aux noirs. Dans « Critique de la raison nègre », Achille Mbembe rappelle que dès qu’il s’agit du noir, les blancs ont tendance à perdre tout sens de la raison.
Mais comme de plus en plus de blancs ont commencé à consommer de l’herbe, la question de la légalisation est apparue, dans les années 1960 et 1970, avec notamment le mouvement hippie (en gros, d’après le documentaire, des blancs influencés par la culture noire, d’où le mouvement anti-guerre du Vietnam). Entre temps, cependant, les USA ont fait la guerre aux noirs américains, sous le couvert de la guerre contre la drogue. Cette guerre inclut bien évidemment la marijuana, qui est la principale cause d’arrestation pour possession de drogue chez les noirs (dans « One love » qui décrit l’univers carcéral du ghetto, sous la forme de lettres adressées à ses amis en prison, Nas rappe « say what’s up to herb, ice, and bullets », ce qui peut-être compris comme les trois raisons principales pour lesquelles les noirs sont en prison).
Les Etats-Unis ont fait le choix de détruire des vies, des familles, des individus, juste parce qu’on veut maintenir la majorité des noirs dans des situations de dépendance, de démence et d’auto-destruction alors que nous savons la vérité de tout cela parce que cela a été avoué. Aujourd’hui, on permet aux blancs principalement de se constituer des fortunes par la vente et la production légale de marijuana, tout en érigeant tout un système pour empêcher les noirs d’entrer dans ce business lucratif. D’ailleurs même avec ça certains vont jouer les Christophe Colomb, or dans le documentaire il y a aussi un gars qui s’appelle Branson. Il avait son business à Harlem, il est connu parce que les rappers l’ont cité à maintes reprises, et avait des menus, toute une panoplie de services, dès les années 1990, au moins.
Bref, encore une fois, dans notre cas, nous avons besoin de la vérité et de la justice pour ne pas désespérer de nous-mêmes, pour ne pas perdre confiance en nous-mêmes, pour ne pas constamment penser que le mal vient de nous-mêmes. Certains peuvent penser que je suis un peu parano en voyant la question de la race partout, mais je constate que les faits, l’histoire et la réalité de nos vies, dans les sociétés racistes et colonisées, la question de la race est centrale dans la manière dont nous sommes approchés, traités et jugés. Ce racisme entretenu à trop des conséquences désastreuses pour nous, pour nous taire sur cela.
J’entends bien les convergences de lutte, les alliés, etc, mais je ne vois pas trop le soutien effectif (quand je parle de cela, un modèle d’allié effectif serait quelqu’un comme Juan Branco, qui expose les noms, les idées et modes opératoires des dominants ou des gens de « son milieu » pour permettre au peuple de s’armer en conséquence et fragiliser les dominants) aux noirs pour la justice et contre le système raciste et capitaliste. C’est terrible aussi d’entendre des discours du genre, « oh désolé, nous avons fait des erreurs. Maintenant, oublions et gagnons de l’argent ensemble », ou « mais ce n’est pas moi qui ai fait ces lois, je n’étais pas là ». Et là, on revient sur le débat de la responsabilité collective et de la réparation… et là, les alliés, les convergeurs de lutte disparaissent du débat comme les USA (sous Obama) en 2009 lors de la conférence contre le racisme des Nations Unies à Durban, en Afrique du Sud.
PS: Ah oui, dans le documentaire il y a l’excellent Carl hart, scientifique, Spécialiste des drogues qui rappelle que la classification des drogues est d’abord politique et non scientifique.